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Culte à Berlin, 25 août 2013
Textes bibliques :
2 Chroniques 28, 9-15
Ephésiens 2, 11-22
Matthieu 15, 21-28
Chers amis,
Nous le savons bien, interpréter l’Écriture est un exercice risqué. Mais actualiser cette même Écriture, lui trouver des équivalents, des prolongements ou des fruits dans notre vie d’aujourd’hui, est plus redoutable encore. Et pourtant il nous faut prendre ce risque. En commençant par le texte biblique, car, nous le savons bien aussi, nous protestants, nous sommes des obsédés textuels (j’ai bien dit : des obsédés textuels…) Et en poursuivant du texte biblique vers l’actualité : la Bible dans une main, le journal dans l’autre, et un œil sur Internet.
Chers amis, ce que je vais dire du texte d’aujourd’hui risque de vous bousculer, peut-être même de vous choquer. Et je demande pardon d’avance à ceux que je vais peut-être scandaliser. Mais je crois que nous devons nous laisser bousculer par les textes bibliques, tels qu’ils sont dans leur crudité. Et nous laisser bousculer même par des textes que nous croyons connaître par cœur. Car un texte biblique est comme une personne vivante que l’on connaît bien, mais que l’on redécouvre chaque jour sous un autre angle, avec de nouvelles richesses. Comme une personne à la fois proche et étrangère, comme un étrange étranger que nous apprivoisons et qui nous devient familier, mais qui nous échappe toujours par son étrangeté et par son étrangèreté.
Ici, dans notre texte, Jésus est confronté à une personne étrangère : une femme cananéenne, dit Matthieu, une Syro-phénicienne, précise Marc, une femme qui vivait dans le territoire de Tyr et de Sidon. Parmi les étrangers, nous le savons bien, nous faisons des différences. De même qu’il y a des personnes plus égales que d’autres, de même il y a des étrangers plus étrangers que d’autres étrangers, il y a surtout des étrangers très étranges, très très étranges. Il y a des étrangers qu’on aime bien, ceux qui se sont bien intégrés chez nous, par exemple. Et d’autres qu’on aime moins, voire pas du tout, parce qu’on les considère comme inassimilables, et donc indésirables. Il en allait déjà ainsi au temps de Jésus : on faisait la différence entre les étrangers intégrés au peuple juif et les étrangers d’au-delà des frontières. Les premiers étaient respectés, protégés, et même considérés par la Torah comme des prochains à aimer, tandis qu’on se méfiait des seconds, et qu’on leur faisait même de temps en temps la guerre. « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi, dit Jésus. Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis » (Matthieu 5, 43-44). Jésus fait ainsi éclater le clivage entre le prochain qui comprend l’étranger intégré, et l’ennemi qui est toujours un étranger d’au-delà des frontières. Or, voilà Jésus mis au pied du mur : après le Sermon (sur la montagne), voici le temps de la mise en pratique. Car la femme cananéenne, la Syro-phénicienne, c’est vraiment l’exemple type de l’étranger très étranger, de l’étranger très très étrange. Les populations de Tyr et de Sidon sont des ennemis héréditaires du peuple d’Israël. C’est la caricature de l’étrange étranger, de celui dont on a peur parce qu’il nous menace, et la peur engendre la haine de génération en génération, avec son lot de préjugés, de ragots, de calomnies, d’histoires effrayantes et de blagues racistes que l’on entend et que l’on retransmet à ses enfants. Ajoutons qu’en tant que femme étrangère, la Cananéenne symbolise aussi l’impureté, car elle ne respecte pas les dispositions rituelles juives liées à la menstruation. La femme syro-phénicienne, pour Jésus, c’est le concentré de tout ce qui lui est étranger, c’est l’anti-modèle du prochain. Lire la suite